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MARK EYSKENS
Le changement du changement

26 ans à la Chambre, membre de 13 gouvernement, 36 ans de professorat à la KUL, père et grand-père, peintre et écrivain. Mark Eysken a confié le fruit de quarante ans de réflexion dans son livre « Le vieux prof et la Mer ». Le sens d’une quête de sens (Racine 2006)

Nous assistons aujourd’hui au changement du changement, à son accélération, ce qui entraîne un changement de nature.
En même temps, il y a une montée de l’angoisse, surtout dans le monde blanc. L’avenir est incertain. Notre planète connaît les douleurs de l’enfantement d’un nouvelle société. Les jeunes sont parfois désespérés et certains quittent la terre comme on descend d’un train en marche. « Si le risque peut être calculé, l’incertitude est imprévisible, comme une grosse araignée noire et velue, avec ses huit pates », explique Mark Eyskens. Rien n’est donc gagné d’avance.

La société de la Connaissance
Ce changement est la conséquence des progrès scientifiques et tecniques. Après la machine à vapeur, l’électricité, l’automobile, voici l’informatique. On pourrait, dit avec humour le ministre d’Etat, compter dorénavant les années before and after computer. Révélé au public durant l’exposition de 1958, l’ordinateur en est à la quatrième génération et la cinquième est la route, celle de la nanotechnologie. Imaginons une panne informatique mondiale !
Emerge donc une nouvelle société, globalisée, basée sur la connaissance (98% des savants de la histoire vivent à notre époque) et sur l’information. Cela avait été prédit par le savant jésuite Teilhard de Chardin, dans « Le Phénomène Humain », lecture préférée de Mark Eyskens. Il parlait de la « Noosphère », de la sphère de l’esprit.
Et le « vieux Prof » d’édicter la loi de la connaissance relative décroissante : on connaît une partie de plus en plus réduite de cette connaissance qui elle, ne cesse d’augmenter. De plus, on fait des analyses ponctuelles, mais il manque une synthèse. On ne voit pas les vrais problèmes, on confond l’essentiel et le secondaire. Du coup, les débats son souvent à côté de la plaque. L’enseignement comparé de l’histoire des civilisations pourrait être particulièrement enrichissant. Ainsi, se rappeler que la Chine a preque toujours été la première puissance du monde rendrait l’Europe plus tolérante. La deuxième discipline importante serait la philosophie qui consiste à apprendre à poser les bonnes questions, et tout d’abord celles de l’éthique, de la différence entre le bien et le mal. Tout changement n’est en effet pas progrès. Il faut discerner, insiste Mark Eyskens.

Vous expliquez la chute du communisme et la crise du libéralisme par cette société de la connaissance…
En effet, elle a bouleversé ces deus grands systèmes, en faisant de la créativité et de l’innovation le facteur dominant, ce qui ne peut pas être collectivisé. Quand la connaissance-et non la force de travail-devient la plus importante, l’économie s’individualise, le collectivisme marxiste devient caduc. Le mur de Berlin devait tomber. Cette évolution mine aussi le capitalisme libéral, car la propriété privée de la connaissance est difficilement gérable.

Comment l’économie mondiale évolue-t-elle ?
Des dinosaures manipulent des flux financiers énormes et investissent dans la recherche. Autour d’eux, des PME satellisent. D’où une concentration des groupes financiers qui assurent le financement de l’ensemble, tout cela grâce à l’ordinateurs qui robotise. Mais la concurrence sans règle tue la concurrence. Celle-ci n’est bonne que lorsqu’elle est parfaite. Pour cela, il faut la réglementer. Comme au football, il y a des règles à respecter. Ne faudrait-il pas créer un Conseil de sécurité économique et fusionner le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Office mondial du commerce ?


Quel est votre « jugement » sur cette évolution ?
Toute invention n’est pas une amélioration. Il y a donc des changements à combattre. Nous avons besoin d’une éthique du changement plus que d’un changement d’éthique. Il nous faut distinguer entre le bien et le mal, ce qui n’est jamais évoqué par les médias ou au Parlement. Comment transformer tous ces changement en véritable progrès humain ? Il y a bien sûr les Droits de l’homme. Mais ils sont un papier rédigé par le blancs, inspiré par une vision chrétienne et par les Lumières, sans référence au monde asiatique, musulman….il faut encore trouver les fondements d’une éthique universelle.

La multiculturalité deviendra notre quotidien. Elle est irréversible, mais pas sans danger : ghettos, guérrillas urbaines…Ainsi, pour financer la sécurité sociale en Europe, il faudra intégrer un million d’immigré d’ici 2015, et cela annuellement. Il faut donc la transformer en interculturalité, intégrer sans assimiler. On peut ici s’inspirer de la physique quantique, mais aussi de la sagesse asiatique, selon laquelle les contraires sont complémentaires, comme le ying et le yang et le raisonnement circulaire.
En Occident, nous avons une logique, binaire (comme l’ordinateur), travaillant par opposition. Les valeurs du christianisme peuvent constituer un pont de complémentarité avec les valeurs asiatiques.

Un christianisme en crise…
L’Eglise est un crise et l’a toujours été, de concile en concile.- N’en faudrait-il pas un nouveau avec tous les chétiens, mais aussi des musulmans, des athées, des juifs, des scientifiques Elle ne sera pas sauvée par le Vatican, elle ne peut l’être que par le Christ, par la recherche continuel de l’interprétation exacte de son message, plus actuel encore qu’il y a deux mille ans. Jésus est un mutant. Il est le « nouvel Adam », dit saint Paul. Avant le lettre, il a rompu avec le darwinisme de l’évolution humaine. Cette théorie-empiriquement prouvée ; je ne suis pas un créationniste-parle de la lutte à mort pour la vie et de la survie du plus fort. Le Christ nous dit que cet égoïsme va nous tuer, qu’il faut le remplacer par l’amour gratuit, l’agapè. Celui-ci n’est pas dans la nature et il va même contre elle.

Il est vrai que ce message est difficile, puisqu’il s’agit d’aimer même son ennemi. Il faut cependant le traduire en termes politiques. C’est le travail de la doctrine social de l’Eglise et de la philosophie personnaliste, d’une toute autre nature que le socialisme et le libéralisme. « Nous sommes sur l’autre rive, en face », disait Théo Lefèvre. Et le christianisme parle aussi de la foi en la résurrection, cette conviction que la mort n’as pas le dernier mot…L’entropie (tout finit pour se détruire) peut être vaincue par un comportement qui incarne des valeurs divines : l’amour du prochain, la recherche de la justice, la miséricorde, la vérité, la beauté. Le Christ a révélé un Dieu d’amour, un Dieu de valeurs. Celles –ci sont divines, parce que surnaturelles. On ne les trouve pas dans la nature qui, elle, n’est pas juste. Ces valeurs doivent être incarnées. C’est ce que Jésus a fait, mais je retrouve cette incarnation dans toutes les gens de bonnes volonté. Pour le chrétien, ces valeurs dépassent l’humain. Elles permettent d’entrer dans la transcendance et de vaincre la mort. Les athées, cependant, ne font pas le lien entre Dieu et les valeurs. La mort demeure pour eux une limite. Pour le croyant, Dieu nous attire et nous inspire de faire le bien. Il est le « grand attracteur ». Qu’on laisse à la science le soin d’expliquer la « création » et l’évolution physique de la réalité.

Êtes vous optimiste ?
Un optimiste est un pessimiste mal informé ! Trêve de plaisanterie, je ne suis ni pessimiste, ni optimiste, mais « meilleuriste » : il y a toujours moyen d’améliorer, il faut rester enthousiaste ! un mot dérivé du grec en theos, et qui veut dire Dieu.

Recueilli à Leuven par Charles DELHEZ

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